Le mercredi 11 juillet 2007
Laura-Julie Perreault
La Presse
http://www.cyberpresse.ca/article/20070711/CPACTUALITES/707110516

Un imam hors norme

Il était minuit moins une quand le téléphone a sonné au 24, promenade Sussex, un soir de l'été 1972. Le despote Idi Amin Dada avait décidé d'expulser 50 000 Indo-Pakistanais de l'Ouganda. Ces derniers n'avaient nulle part où aller jusqu'à ce que Pierre Elliott Trudeau prenne l'appel de l'Aga Khan.

Chef spirituel de la communauté ismaélienne, une branche de l'islam chiite, le prince et imam a demandé à Trudeau d'accepter les réfugiés. En échange, il lui a fait une promesse. «Il a dit à mon père que même si ça représentait plusieurs milliers de personnes, ces derniers ne représenteraient jamais un fardeau pour le Canada», a raconté à La Presse Alexandre Trudeau, un des fils de l'ex-premier ministre.

Ce coup de téléphone, qui se solda par une entente, fut le début d'une amitié entre les deux hommes. Avec Fidel Castro et Jimmy Carter, l'Aga Khan était l'un des invités d'honneur aux funérailles de M. Trudeau.

Ce fut aussi le premier pas de l'établissement d'une communauté ismaélienne au Canada. Aujourd'hui, elle compte 100 000 âmes au Canada, dont 6000 au Québec.

Les ismaéliens québécois sont tous attendus aujourd'hui au stade Uniprix du parc Jarry pour souligner le jubilée d'or de l'Aga Khan. Des célébrations auront aussi lieu dans les 25 pays où les ismaéliens sont présents. L'Aga Khan lui-même fêtera dans son fief, à Aiglemont en France.

Imam depuis 50 ans

C'est le 11 juillet 1957 que le prince Karim, alors âgé de 20 ans et étudiant à Harvard, a succédé à son grand-père l'Aga Khan III. En accédant au titre d'imam, il devenait responsable de 15 millions de personnes dans le monde. «Pour nous, l'imam n'a pas qu'une fonction spirituelle. Il est aussi responsable du bien-être matériel de la communauté», explique Amir Karim, un représentant de la communauté ismaélienne au Canada.

Le coup de fil de 1972 au premier ministre Pierre Elliott Trudeau tombait donc sous la responsabilité divine de l'Aga Khan, descendant de Mahomet par la lignée de Fatima, la fille du prophète et son mari, Ali; l'intégration économique de ses ouailles au Canada aussi.

Cette première expérience ayant été concluante, le Québec n'a pas hésité à ouvrir les bras à plus de 5000 autres réfugiés ismaéliens en 1992. Ces derniers fuyaient alors l'Afghanistan des talibans et l'ex-URSS en pleine mutation.

Affaires, philanthropie et islam

Au cours du premier demi-siècle de son règne, l'Aga Khan s'est fait connaître autant pour ses exploits en affaires (il est à la tête d'une des plus grosses fortunes du monde), sa collection incomparable de chevaux de race, sa vie jet-set et ses projets de développement. Homme religieux qui porte avec aplomb les complets de soie, il a souvent répété en entrevue qu'affaires, philanthropie et islam font bon ménage.

En Afghanistan, par exemple, il a mis son chapeau d'hommes d'affaires pour fonder la plus grande compagnie de téléphones cellulaires, Roshan, et ouvrir un hôtel cinq étoiles, le Serena. Simultanément, en imam philanthrope, il a injecté des millions dans la restauration du légendaire jardin de Babour à Kaboul, dans la construction d'écoles et dans l'ouverture d'hôpitaux et de cliniques.

Les pays en crise ne sont pas les seuls bénéficiaires de l'Aga Khan. Le Canada est un des grands chantiers de sa fondation. Dans le cadre de son jubilée, le chef spirituel a annoncé l'ouverture du Centre mondial du pluralisme dans les anciens locaux du Musée national de la guerre à Ottawa. L'imam construit aussi dans la capitale fédérale un édifice qui abritera les activités de la communauté ismaélienne canadienne et celles du Réseau de développement Aga Khan. De plus, le prince sera de passage au pays dans la prochaine année pour donner le coup d'envoi à la construction d'un musée d'art islamique à Toronto.