Cette communication s'incère dans le cadre d'une vaste enquête entreprise depuis deux décennies dans le but de " dépassionner " l'histoire de la pensée islamique. L'enjeu de l'enquête étant l'impérieuse nécessité pour le monde musulman de voir clair en lui-même afin de retrouver les chemins de l'authenticité, l'auteur veut se mettre à l'écoute des grands maîtres de la pensée islamique quelles qu'en soient les tendances ou les options doctrinales.
C'est dire qu'on doit mettre entre parenthèses toutes les attaques - combien virulentes - que les maîtres de la pensée orthodoxe ont lancées sans désemparer tout au long des siècles contre la pensée chiite en générale et la pensée ismaïlienne en particulier. L'on sait, en effet, que les penseurs de l'orthodoxie islamique - y compris le prestigieux Ghazzali - n'ont vu dans la pensée ismaïlienne qu'un vaste mouvement de subversion sur le plan de la pensée tout aussi dangereux - sinon plus - pour l'Islam que la subversion politico-sociale et les violences des troupes du " Vieux de la Montagne " qui ont terrorisé le monde musulman du Califat 'Abbaside décadent.
On ne peut considérer, donc, que deux faits majeurs qui se laissent facilement dégager aux yeux de quiconque effectue le "survol" de trois siècles de pensée spéculative islamique:
1. Toute l'effervescence intellectuelle dont ont fait montre les grands esprits islamiques - après leur contact avec la pensée grecque - tous les mouvements d'idées sur les plans juridique, linguistique, historique, exégétique, théologique, toutes les tendances mu'tazilite, chiite, sunnite, mystique ou autres sur le plan de la pensée religieuse n'ont visé qu'un seul but: l' "assimilation intégrale" d'un Message Coranique qui s'est révélé trop riche pour qu'aucun de ces mouvements, aucune de ces tendances puisse revendiquer le droit exclusif d'avoir assimilé l'intégralité de son contenu.
2. L'extraordinaire prolifération de la pensée religieuse en sectes et sous-sectes, le Logos pulvérisé, le démembrement de l'Empire Islamique travaillé par les courants d'idées les plus divers, la décadence du Califat 'Abbaside, le malaise social profond qui s'ensuivait et que personne ne pouvait plus nier, tout cela se traduisait par un tel désarroi que les grands penseurs islamiques ne pouvaient pas ne pas tenter la " grande synthèse " qui rallierait les coeurs et opérerait la "réconciliation des bonnes volontés".
C'est dans cette perspective, en tout cas, que peut être dégagée, dans la bonne foi et le sérieux que requiert la gravité du problème traité, l'originalité de l'apport des Fatimides dans la pensée islamique. Utilisant les sommes chiites rédigées par Al-Qadi al-Nu'man
( Dai al-Islam, Asas al-Tawil); Hamid al-Din al-Kirmani (Rahat al-'Alq) et les Rasa'il des Frères de la Pureté, pour l'analyse de l'apport philosophique des Fatimides, la doctrine des Fatimides n'apparaît dans toute sa cohérence et dans la pureté de ses lignes que si on l'envisage tour à tour:
1. Comme une vaste synthèse philosophico-religieuse qui utilise à la fois les grandes notions du Pythagoricisme et les données coraniques relevées à l'intérieur d'une Herméneutique dont le principe essentiel est l'ambiguïté fondamentale du Réel que traduit - en lettres de feu - le corpus des versets coraniques dits mutashabbih ou ambigus.
2. Comme un mouvement révolutionnaire qui vise à abattre le Califat 'Abbaside décadent et à construire - sur ces ruines - la nouvelle cité islamique. Ce qui, du reste, caractérise ce mouvement révolutionnaire - et donne la mesure de son originalité - réside dans le fait que ses promoteurs ont élaboré toute une " Technique de l'enracinement de la valeur dans ce monde rebelle ", technique qui tire ses principes de la Technique coranique même.
3. Comme une doctrine pédagogique qui vise la formation du " Nouveau musulman ".
En conclusion on doit souligner la nécessité de renouveler le dialogue entre Sunnites et Chiites sur la base du respect mutuel: " dépassionner " l'histoire de la pensée islamique est en effet le premier pas sérieux à franchir en vue de préparer l'affrontement islamique des temps nouveaux.
Tunis
SYMPOSIUM, MILLENAIRE DU CAIRE
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