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Victoire des bons sentiments au huitième prix d'architecture
Agha Khan. Le Monde, November 8 2001


LE MONDE | 08.11.01 | 10h08

Victoire des bons sentiments au huitième prix d'architecture Agha-Khan décerné tous les trois ans depuis 1980, le huitième prix d'architecture Agha-Khan a été remis, le 6 novembre, lors de cérémonies organisées dans la>citadelle d'Alep, en Syrie.

ALEP (Syrie) de notre envoyé spécialdoté de 500 000 dollars (plus de 550 000 euros), il récompense une dizaine de réalisations. La première batterie de prix avait été décernée à Lahore, au Pakistan en 1980. Heureuse époque : d'élégants officiers pakistanais avaient alors fait d'eux-mêmes tomber la barrière qui, dans ce pays alors préislamiste, séparait, dans les jardins Shalimar, les invitées des invités.

A trois reprises, le jury présidé par Karim Agha Khan en personne a récompensé des architectes à la carrière flamboyante : l'Egyptien Hassan Fathy, l'Irakien Rifat-Chardirji et, cette année, Goeffrey Bawa, constructeur et paysagiste né au Sri Lanka. Faire sien un vocabulaire qui emprunte à la tradition comme à la modernité, à l'Occident et à l'Orient, est la ligne de ce prix qui cherche à dépasser les frontières tant des États que de l'esprit.

Du séminaire critique qui suit toujours la remise des prix, il ressort qu'une place majeure a été accordée cette année aux bons sentiments plutôt qu'aux grandes envolées architectoniques. L'esprit "juste" contre la "forme"? C'est ce qui gêne dans plusieurs des neuf réalisations d'où émergent cependant, parce qu'ils n'opposent pas la justesse à la forme, le village de SOS-Enfants à Aqaba (Jordanie) et le village d'Aït Iktel (Maroc).

Un projet iranien de réutilisation de bâtiments anciens, concernant une vingtaine de villes, mérite aussi son prix, sans barguigner. L'idée même d'un élevage de poules avec école et hôpital de campagne à Koligbe en Guinée, à laquelle a participé l'agence finnoise Heikkinen-Komonen, avait aussi de quoi séduire. Pour le reste, tous les prix se discutent.

QUELQUES ABSENTS

A Alep, hors la chute vertigineuse du tourisme, la vie ne semble perturbée ni par la guerre d'Afghanistan ni par la fastueuse cérémonie des prix de l'Agha-Khan. Dans la citadelle et autour, les militaires sont omniprésents, les écoliers portent l'uniforme avec barrette aux épaules selon leur niveau.

Et les gardes du corps auxquels l'Agha Khan a dû récemment s'habituer ont reçu le renfort d'une meute de colosses aux vestes gonflées par tout l'attirail du métier.

Beaucoup d'invités ne sont pas venus : des Indiens, des Anglais, les Américains, surtout, qui ont tous déserté, hormis trois musiciens accompagnant le violoncelliste Yo-yo Ma, soliste d'un soir, pétulant, rayonnant, qui soutient un nouveau programme de la fondation : le projet "Route de la soie" de Xian en Chine à Tyr au Liban. Seul absent de marque parmi les interprètes : Julien Jalaleddin Weiss, Suisse alsacien installé à Alep, qui se consacre au rayonnement de la musique arabe. La Syrie s'est ouverte, mais dans certaines limites.

"Black tie", costumes sombres ou vêtements nationaux sont exigés par le grand cérémonial de cette remise du prix Agha-Khan d'architecture. Le costume sombre sied à la fête quand le monde musulman, partagé entre les principes tolérants de l'islam et ses derniers avatars intégristes, se déchire, et qu'une guerre de représailles résonne à nouveau entre les enragés du tchador et un monde occidental pris dans ses contradictions : la liberté sans la fraternité, et l'inégalité comme valeur ultime des échanges mondiaux.

Or c'est un ordre du monde exactement inverse que prône depuis plusieurs décennies Karim Agha Khan (Le Monde du 1er novembre), moins en paroles d'ailleurs qu'en actes, à travers un réseau qui, dans un esprit de stricte neutralité politique (sans quoi d'ailleurs il aurait été depuis longtemps foudroyé), vient en aide aux plus démunis des pays en voie de développement sans distinction de confession ni d'origine, pourvu toutefois qu'y soient présents quelques-uns de ses coreligionnaires. Bon exemple : l'Institut du monde arabe de Paris, l'un des onze prix décernés en 1989.

* ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 09.11.01


Frédéric Edelman

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