[Retour à l'Exposition Fatimide]
La Société Heritage Vous Présente... Retour au site Heritage

TRÉSORS FATIMIDES
DU CAIRE

(les images sont cliquables)

Dessin de deux guerriers
Égypte, trouvé à Fostat, XIe siècle
Encre sur papier
Le Caire, Musée d'art islamique
Pour la première fois au monde, voici réunis et présentés au public les trésors des Fatimides. Jamais jusqu'à présent, en effet, n'avaient pu être rassemblées en un seul lieu des merveilles que les aléas de l'Histoire avaient disséminées dans de nombreux musées sur tous les continents. Un patient travail a permis de collecter auprès d'une trentaine de musées, d'institutions et de collectionneurs, environ 250 pièces de grande valeur, qui témoignent d'un art suprême, cohérent et méconnu.

Fragment de tapisserie
Égypte, XI-XIIe siècle
Lin et soie
Londres, The Board of Trustees of
the Victoria and Albert Museum
Le Musée d'Art Islamique du Caire a prêté pour l'occasion un grand nombre de pièces uniques qui confèrent à cette exposition sa dimension exceptionnelle. En laissant sortir quelques uns de leurs plus beaux trésors, le Metropolitan Museum de New York, le Victoria and Albert Museum de Londres, aussi bien que la basilique Saint Marc de Venise ou que la cathédrale d'Apt, ont participé, parmi bien d'autres, à cet événement sans précédent.

LES FATIMIDES

Panneau incrusté,
orné d'animaux et d'une
pseudo-inscription coufique

Égypte, Edfu, Xe siècle
Bois, ivoire ou os, pâte noire
Le Caire, Musée d'art islamique
La dynastie des Fatimides n'a régné sur l'Égypte que durant deux siècles, de 969 à 1171. L'origine de cette famille est à la fois obscure et mystérieuse. Ils prétendaient descendre de Fâtima la fille du Prophète - d'où leur nom -, et de son époux ‘Alî, cousin de Mahomet. Ses ennemis contestaient cette généalogie prestigieuse. Ce n'est d'ailleurs qu'au milieu du IX siècle que l'un d'eux apparut sur la scène de l'Histoire, à la tête d'une secte chi'ite nimbée de mystère, les ismaéliens. Il s'appelait 'Adballâh. Chassé de ses terres du Khûsistân, il s'était installé en Syrie, d'où il avait pu poursuivre sa propagande religieuse et politique : les Ismaéliens considéraient les califes abbassides de Bagdad comme des usurpateurs, et attendaient la venue d'un sauveur, le mahdî ("celui qui est guidé "). Peu à peu la secte avait essaimé très loin hors de Syrie, formant des
Brûle-parfum en forme d'oiseau
Égypte, Xe siècle
Bronze
Berlin, Staatliche Museen,
Museum für Islamishe Kunst
cellules secrètes de l'Algérie au Yémen et au Pakistan. L'une d'elles, florissante en petite Kabylie (Algérie), avait fini, après sept ans de guerre, par vaincre l'émir de Kairouan et à conquérir l'actuelle Tunisie. En 910, 'Abdallâh, le chef de la secte, avait fait son entrée à Kairouan et avait été proclamé calife sous le nom de ‘Abdallâh al-Mahdî. Dans les années suivantes, ce califat chi'ite-ismaéliens s'était étendu de la Tunisie jusqu'à la côte atlantique du Maroc, et même en Sicile, conquise par les Arabes au siècle précédent. De leurs résidences de Kairouan, le calife puis son successeur, de plus en plus puissants et toujours soucieux d'abattre le califat de Bagdad, avaient tenté, vainement, de progresser jusqu'au Nil.

Plat au vieil homme,
Bol à la joueuse de luth,
Bol au griffon
Égypte, X - XIe siècle
Céramique à décor lustré
Athènes, Musée Benaki,
Le Caire, Musée d'art islamique
C'est en 969, sous le quatrième calife fatimide, al-Mu'izz, qu'une occasion inespérée allait s'offrir à eux. Le but des Fatimides était de prendre le pouvoir sur les pays de l'Islam et notamment sur les villes saintes, le Mecque et Médine. L'Égypte se trouvant plus ou moins abandonnée, le calife al-Mu'izz y envoya, sous la direction de Gawhar, son armée de terre et ses forces navales. La soumission de l'Égypte se fit sans résistance notable.

Après avoir fait bâtir pour lui une ville au nord de Fostat pour sa cour et ses gens, le calife fit son entrée dans sa nouvelle capitale,
Frises ornées d'animaux,
provenant du palais occidental
Égypte, Le Caire,
2ème moitié du XIe siècle
Bois
Le Caire, Musée d'art islamique
Frise réutilisée au XIIIe dans le
Martisan de Qala'ûn
"al-Qâhira al-Mu'izziyya" ("le royaume de la victoire de Mu'izz"), le 10 juin 973. Dès lors, devenue la capitale des Fatimides, al-Qâhira - Le Caire - allait devenir, pour deux siècles, le centre intellectuel, artistique et économique d'une dynastie triomphante. Au gré de ses conquêtes, elle rayonnerait de L'Atlantique au Yémen, en passant par les lieux saints de Médine et de la Mecque.

Panneau aux paons provenant
provenant du palais occidental
Égypte, Xe - XIe siècle
Marbre
Le Caire, Musée d'art islamique
Réutilisé dans la mosquée Sultân
Fârâg b.Barqûq du Caire
Au Caire, que reste-t-il de la ville fastueuse bâtie par les Fatimides ? Aujourd'hui, très peu de monuments: des traces de la salle de prières originelle de la mosquée al-Azhar, quatre mosquées plus ou moins remaniées au fil du temps, trois des portes somptueuses de l'enceinte fortifiée - Bâb al-Nâsir, Bâb al-Futuh et Bâb Zuwayla. Témoignages saisissants par leur force et leur harmonie, certes, mais qui ne disent pas assez quelle fut l'élégance de la ville et de ses monuments, le faste de ses palais aujourd'hui disparus.

Décors- L'exposition que présente l'Institut du Monde Arabe vous invite d'abord à découvrir les beautés de ces palais
Lion (élement de fontaine)
Égypte, XIe - XIIe siècle
Bronze
Le Caire, Musée d'art islamique
perdus, où s'allaient somptuosité et qualité de vie raffinée. Il faut imaginer les bruissement des étoffes précieuses et les murmures des courtisans traversant les cours des pavillons à coupole, allant converser dans les salles en iwân, avant de se rafraîchir peut-être aux fontaines de marbre des merveilleux jardins. Il ne reste du décor de ces palais que des fragments d'architecture, mais on y lit presque tout : la première salle de l'exposition présente des frises de bois sculpté, gardant quelques traces de couleur, qui témoignent'une extraordinaire qualité de décor : finesse extrême des figures représentées, musiciens, scènes de chasse, danses gracieuses.

Cerf
Égypte, Xe - XIe siècle
Bronze
Munich, Staatliches Museum für
Völkerunde
Tout ici témoigne déjà de quelques grandes caractéristiques de l'art fatimide: liberté d'exécution, impression de vie, réalisme et sens de l'observation, formes gracieuses, douceur du trait. Même lorsque les motifs ne sont pas figuratifs - c'est le cas pour certains panneaux de portes présentés ici-, ces caractéristiques demeurent, et s'enrichissent : même dans le simple 0lan des entrelacs se montre la spontanéité du sentiment qui fait du bon artisan un artiste. On remarquera ici une pièce très rare, une plaque en marbre ornée d'oiseaux qui décorait probablement un lambris, et servit plus tard, une fois retournée, de pavage. Certaines frises, elles aussi, réemployées dans la construction d'une mosquée, avaient été retournées pour ne pas laisser voir leurs ornementations profanes. On les découvrit en restaurant la mosquée.

Textiles - Ces mêmes traits de l'esthétique fatimide se retrouvent dans l'art du textile. Outre le célèbre "voile de sainte Anne" dont nous parlerons plus loin, l'Institut du Monde Arabe présente quelques pièces exemplaires qui témoignent d'un art accompli d'un étonnant raffinement. Le climat sec de l'Égypte a permis leur bonne conservation, et nombre d'entre elles ont été
Fragment de feuillet peint
d'un manuscrit
Égypte, vers le XIIe siècle
Gouaches sur papier
Koweit, Al-Sabah Collection of
Islamic Art
retrouvées dans des tombeaux. Qu'elles soient éléments d'usage quotidien ou de parure, signe extérieur d'opulence ou objet d'un fructueux commerce, manifestation de pouvoir, les étoffes jouaient un rôle considérable dans l'Égypte fatimide. L'État détenait le monopole de leur fabrication. Dans les tirâz ("ateliers") de Fostat, Damiette ou de Tinnîs, une multitude de tisseurs, brodeurs et tailleurs s'affairaient à la garde-robe du calife, de sa cour et de ses serviteurs. Les plus beaux tissus étaient d'un lin extrêmement fin, à décor de broderie ou de tapisserie à fils d'or ou de soie colorés.

Feuillet de Coran
Tunisie, première moitié du
Xe siècle
Parchemin, encres,
gouaches et or
Koweit, Al-Sabah Collection of
Islamic Art
La plupart des pièces réunies dans l'exposition soulignent une grande unité dans la composition et, comme toujours avec les artistes fatimides, une grande liberté d'inspiration et d'exécution. L'élément décoratif fondamental est ici le bandeau brodé, qui traverse l'étoffe d'un turban, par exemple. On pourra admirer la beauté de ces bandeaux où apparaissent des scènes animalières, des motifs décoratifs sans monotonie, pleins de grâce et d'émotion, aussi bien que d'exceptionnelles calligraphies savantes - formules de bénédiction, nom du calife en caractères coufiques - dont les grandes hampes dessinent des espaces ornés de volutes.

Céramiques- Par sa technique spectaculaire et la grâce de ses décors, la céramique fatimide demeure l'une des plus belles de l'Histoire. Inventée en Iraq au IX siècle, la céramique lustrée, née d'une technique très complexe (une double cuisson avec raréfaction d'oxygène et fixation d'oxydes métalliques), connut en effet avec les Fatimides - qui firent venir des artisans iraqiens - son apogée. La technique, longtemps gardée secrète, permettait de donner aux pièces cet éclat métallisé, ces reflets profonds qui nous fascinent encore. Mais, ici aussi, la technique laissait à l'émotion la liberté de s'exprimer.

Feuillet de Coran
Tunisie, Kairouan,
milieu du Xe siècle
Encre dorée sur parchemin
teint en bleu
Paris, Institut du monde arabe
Les motifs décoratifs que l'on contemple sur les plats ou les bols réunis dans l'exposition sont riches d'enseignements de tous ordres ; sur les influences iraqiennes, chinoises ou hellénistiques de cet art, montrant combien les Fatimides étaient ouverts aux plus vielles traditions tout comme au reste du monde ; sur la vie quotidienne à la cour, puisque de nombreux décors nous dépeignent avec un charme inouï les princes, les musiciens et les danseurs, parfois réunis dans de petites saynètes vivantes ; sur le goût des princes pour les animaux, réels ou mythiques, qu'ils chassaient au désert, qu'ils imaginaient dans leurs contes ou qu'ils protégeaient dans leurs ménageries (tels le léopard dressé à la chasse ou la girafe qu'on peut admirer ici grâce à un prêt de Musée Benaki d'Athènes) ; sur la constante impression de vie que nous donnent ces céramiques, nées à la fois de l'art de leurs auteurs, si personnel qu'ils tentaient souvent à les signer ("Muslim, fils du peintre", lit-on sur des pièces admirables), et au goût de leurs utilisateurs pour un réalisme enchanté, dont nous sentons un millénaire plus tard encore étonnamment proches.

Stèle funéraire
au nom de Hamza ibn 'Ali,
desendant de 'Alî
Égypte, Xe - XIe siècle
Marbre
Le Caire, Musée d'art islamique
Du bronze au cristal - Dans le luxe des palais fatimides, chaque heure avait sa beauté, et de nombreux objets à la fois splendides et fonctionnels nous sont parvenus. Mais certains gardent le mystère de leur usage. À quoi pouvait donc bien servir cette magnifique petite chèvre en bronze ciselé, qui semble prête à bondir, de poignée, d'anse, de support de récipient ? Son réalisme nous charme autant que la bouffonne irréalité, si surprenante pour un bronze de cette époque, du gros lion pataud qui servit, comme ceux de l'Alhambra de Grenade, de bouche à une fontaine : une véritable oeuvre d'art, une fois de plus, d'une éternelle modernité. Tout comme ce fabuleux grand cerf en mouvement, avec ses bois dressés, dont nous ne savons pas non plus quel fut l'usage.

Des talentueux orfèvres fatimides, un seul nous a laissé son nom, signé sous le fermoir d'un précieux coffret en argent
Plat à la gazelle
Égypte, XIe siècle
Céramique à décor lustré
Le Caire, Musée d'art islamique
superbement niellé : "Osman l'a gravé", est-il inscrit. Et cette pièce est doublement exceptionnelle, car une inscription nous permet de savoir aussi pour qui elle fut réalisée : Sadaqa ibn Yousouf, juif iraqien converti à l'islam, qui fut le vizir du calife al-Mustansir entre 1044 et 1047. Les créateurs de bijoux, eux, demeurent anonymes. On admirera ici les pièces du "Trésor de Césarée", retrouvé au cours de fouilles dans cette ville en 1963 ; plus de vingt bijoux, dont un collier en or et de belles cornalines, entassés à la hâte dans une jarre et enterrés, probablement pour échapper au pillage de la ville par les Croisés... L'exposition rassemble quelques bijoux somptueux, pendentifs, bracelets, boucles d'oreilles en or filigrané d'une finesse inouïe.

Bouteille
Égypte, XIe siècle
Verre soufflé
Le Caire, Musée d'art islamique
Ainsi les princesses pouvaient-elles s'orner de merveilles, et se contempler dans des miroirs à la mesure de leur beauté, enchâssées dans des cadres d'ivoire. Celui qui est présenté ici est un chef d'oeuvre de sculpture : combats d'animaux, scènes de chasse, musiciens sont représentés avec la même grâce, la même créativité qui caractérisent les céramiques. Mais ce cadre témoigne en outre d'une exceptionnelle virtuosité : dans ces scènes de quelques centimètres carrés, aucun détail n'est omis, aucun plissé d'étoffe, aucune corde d'instrument...

Quant à "la plus précieuse des pierres", le cristal de roche, les artistes fatimides l'ont portée à un degré de raffinement inégalé
Aiguière
Égypte, Xe - XIe siècle
Bronze
Londres, Keir Collection
pendant plusieurs siècles. Il faut admirer la magnifique aiguière qui nous vient du trésor de Saint Marc à Venise pour apprécier à sa juste valeur l'extraordinaire technique des lapidaires fatimides : d'abord dégrossi, le bloc de cristal brut était ensuite évidé à l'aide d'un foret puis de fils métalliques recourbés, e enfin taillé au tour à archet pour les détails de ses parois externes. Les artisans parvenaient ainsi à obtenir des épaisseurs de cristal infimes, de moins de deux millimètres, qui donnaient à l'objet une légèreté et une transparence quasi irréelles.

Les Objets de la vie quotidienne des Égyptiens au temps des Fatimides sont d'autant plus émouvants qu'ils sont rares. Révoltes, destructions, pillages, indifférence pour les objets apparemment sans valeur ont effacé les traces. L'exemple le plus accablant de ces pertes demeure celui de la "Maison du savoir", entièrement pillée (en même temps que les palais) lors de troubles graves vers 1070. Créée par le calife al-Hâkim en 1005, cette bibliothèque située proche du palais, et ouverte à tous, conservait plus de 200.000 manuscrits. Elle accueillait aussi bien des lecteurs du Coran que des scientifiques de différentes disciplines, grammairiens, médecins, astronomes ou mathématiciens. S'il ne reste hélas aucun témoignage de cette vie intellectuelle (on contemplera toutefois quelques feuillets de manuscrits rescapés, dont un très beau dessin de deux soldats), la vie religieuse nous a laissé un ensemble de documents et d'objets où se lit avant tout l'esprit de tolérance de chi'ites ismaéliens qu'étaient les Fatimides. Tolérance à l'égard de la majorité sunnite de la population égyptienne, tolérance aussi à l'égard des autres religions du Livre, christianisme et judaïsme.

Coffret orné d'un double
médaillon
Italie du Sud ou Sicile,
XIe - XIIe siècle
Ivoire
Berlin, Staatliche Museen
Museum für Islamische Kunst
L'exposition présente quelques pièces exceptionnelles de l'art islamique fatimide, et notamment plusieurs feuillets de corans d'une grande finesse. Le feuillet d'encre dorée sur un fond indigo, merveille de l'art du livre, provient d'un coran largement démembré. Il provient du grand centre de production de manuscrits que fut le Kairouan fatimide: on y employait ce bleu profond pour imiter les manuscrits colorés byzantins. Tout aussi exceptionnel est cet évangéliaire copte sur parchemin, conservé à la Bibliothèque Nationale. Dans cette miniature polychrome représentant les noces de Cana se mêlent, avec une grâce extrême, les traditions picturales arabo-musulmanes et coptes. Un très beau visage de Christ sur un tesson de céramique et le dessin complet d'un moine copte sur un grand plat donnent un autre aperçu de la maîtrise des artistes coptes.

Encore plus émouvants peut-être, car sans artifice et témoignant de la foi des plus humbles, sont les parchemins portant des textes hébraïques : celui qu'on roulait pour l'inclure dans une amulette porte-bonheur - tradition remontant à la plus haute antiquité -, ou ceux également retrouvés dans la vieille synagogue Ben Ezra à Fostat, portant des inscriptions magiques. On touche ici à un aspect plus profond de l'histoire des religions, quand superstition et foi imprègnent intensément la vie quotidienne. La synagogue a livré en même temps plusieurs documents en différentes graphies, traitant de nombreux sujets intéressant la communauté juive: lettre d'un professeur se plaignant d'un élève, par exemple, ou relation de l'arrivée d'immigrés juifs cherchant refuge au Caire... Ces documents très rares nous offrent ainsi quelques images saisissantes de la vie quotidienne.

Au cours des deux siècles fatimides, l'agglomération de Fostat et du Caire s'accrut considérablement, et dépassa aisément les
Détail de l'Abâ au nom du
calife al Musta'lî dit "Voile de Sainte-Anne"
Égypte, Damiette, 1096-97
Lin, soie et or
Apt, Collection de l'ancienne
cathédrale d'Apt
autres grandes cités arabo-musulmanes du temps. Par la qualité de sa nouvelle architecture, par la beauté de ses jardins, par la puissance commerciale et son rayonnement artistique, elle éclipsa même Bagdad, alors sur son déclin. Le luxueux raffinement dans lequel vivaient les puissants de la cour assurait la prospérité d'une multitude d'artisans et de marchands. Plusieurs objets, cette fois sans connotation religieuse, permettent de remonter le temps et de mieux imaginer la vie de tous les jours des habitants de la capitale fatimide. Vaisselle non précieuse mais ornée des touchant motifs d'une imagerie populaire (bateau sur un Nil poissonneux, gazelle en mouvement), filtres à gargoulette en terre cuite ornés de motifs figuratifs ajourés, qui témoignent d'un souci esthétique même dans les usages les plus courants, grande et simple natte au fin tissage, ornée d'une calligraphie au nom du calife et signée par un artisan consciencieux.

Les verriers se surpassaient eux aussi, toujours imprégnés des traditions du verre antique, qui les faisaient utiliser par exemple un si beau verre bleu, mais cherchant toujours améliorer leurs différentes techniques (verre lustré soufflé, moulé, etc.) Pour toujours plus de finesse et de légèreté. On pourra contempler ici des verres ornés, quelques aiguières et une lampe d'une remarquable exécution. La vitalité de l'activité économique se manifeste encore par le verre, au travers de petites pièces gravées qui permettaient de garantir un poids ou une mesure. Elle se manifeste enfin par quelques dinars, frappés dans un or qui venait du Soudan...

Rongée par les intrigues de cour, livrée aux ambitions de ministres et de vizirs dominant de leur puissance des califes intronisée dès l'âge tendre, devant faire face à un schisme divisant sa propre secte ismaélienne en même temps qu'à la considérable pression militaire des Croisés, la dynastie des Fatimides dut subir en sa capitale les occupations des armées franque puis syrienne. Elle s'éteignit en 1171, après le coup de grâce donné par son dernier vizir, un officier de l'armée syrienne dont l'Histoire allait retenir le nom : Saladin. Le vendredi 10 septembre 1171, après que le dernier calife fatimide, al-‘Âdid, eut été détrôné. La prière se fit à nouveau au nom du calife abbasside de Bagdad.

Aiguière
Égypte, Xe siècle
Cristal de roche; monture
européenne en or et émail de la
Renaissance.
Florence, Trésor de San Lorenzo
déposé au Museo delle Cappelle
Medicee
Pour autant, l'art fatimide n'allait pas si facilement s'éteindre. Émerveillés par sa splendeur, pèlerins et croisés ne s'étaient pas privés de rapporter chez eux tous les objets précieux que pouvaient contenir leurs bagages. Dès 1068, après de violents troubles et le pillage du trésor des palais, avaient été vendus à vil prix sur les étals des marchands, cristaux de roche, bijoux précieux, étoffes tissées d'or et de soie, ivoires et manuscrits enluminés. La célèbre aiguière en cristal du trésor de Saint Marc, déjà évoquée, provient ainsi de ce trésor pillé.

Souvenirs de pèlerins, trophées de guerre, cadeaux royaux échangés avec les souverains étrangers, sac de Constantinople lors de la quatrième croisade furent aussi à l'origine de la présence de l'art fatimide dans les églises et les palais d'Occident. Les trésors des églises médiévales, en particulier, reçurent volontiers les objets d'art fatimides, pour leurs matières précieuses et leur qualité d'exécution, et le clergé les "christianisa" en leur donnant un rôle dans l'apparat des rituels. Au point qu'après quelques générations, on avait souvent oublié leur origine.

Coupe
Égypte, XIe - XIIe siècle
Bronze
Le Caire, Musée d'art islamique
L'exposition présente quelques unes de ces pièces "récupérées", parmi les plus célèbres et les plus belles, ainsi que de superbes exemples de la présence artistique des Fatimides en Sicile et en Italie du sud. Flacons en cristal devenus reliquaires ou somptueuses aiguières rappellent que les chrétiens associaient au transparent cristal les idéaux de pureté, de paradis et de "source de vie". L'ivoire, également, pouvait symboliser la chasteté de la Vierge. Cette matière particulièrement belle fut l'une des grandes spécialités des artisans musulmans de Sicile, du temps des Fatimides et même plus tard, après l'avènement de la dynastie normande des Hauteville à la fin du XI siècle.

On peut contempler longtemps l'harmonie parfaite et la grâce de quelques coffrets d'ivoire, ornés de cercles contenant chacun une figure en arabesque, musicien, paon, prince sur son trône. Des ivoiriers installés en Italie du sud se spécialisèrent dans la production d'olifants - autrement dit de cors d'ivoire taillés dans des défenses d'éléphant - très finement ciselés. L'olifant le plus célèbre est bien sûr celui de Roland à Roncevaux. Au Moyen Âge, ces cors servaient aussi à boire. La pièce présentée ici est ornée d'un extraordinaire décor de cercles entrelacés, dans lesquels s'inscrivent des animaux, familiers ou mythiques.

Deux pièces majeures de l'art textile, qui sont aussi deux "monuments" de
Copie du manteau de Roger II
Copie réalisée en 1993 en soie
imprimée
Original: Sicile, 113-34, soie, or
perles, émailcloisonné et verre,
conservé au Kunsthistorisches
Museum de Vienne
Côme, Ratti S.P.A
l'histoire mondiale de l'art, nous permettent enfin de bien appréhender la fascination que le génie des Fatimides a sans cesse exercée, du Moyen Âge jusqu'à nous. La première est le manteau du roi Roger II de Sicile, qui fut achevé dans les ateliers royaux de Palerme - où persista longtemps la tradition fatimide grâce aux artisans musulmans - en 1133/1134. L'exposition présente une copie de ce manteau (réalisée à Côme grâce à la Fondation Ratti) aujourd'hui conservé à la Weltliche Schatzkammer de Vienne. Pour comprendre le prix que revêt cet habit somptueux pour les Autrichiens, on rappellera qu'il fut le manteau de sacre des empereurs du Saint Empire Germanique. En forme de demi cercle, il est magnifiquement orné, sur un fond rouge, d'une scène brodée en soie et fils d'or représentant, de part et d'autre d'un "Arabe de vie", deux fauves symétriques attaquant un chameau. La bordure inférieure du manteau est brodée d'une inscription coufique en fil d'or, donnant les titres du roi et indiquant le lieu et la date du travail de broderie.

Le deuxième chef d'oeuvre universel attestant de ce pouvoir de fascination intact est le célèbre "voile de sainte Anne", conservé dans le trésor de la cathédrale d'Apt, et présenté ici pour la première fois au public. Sommet absolu de l'art textile, on le considère aujourd'hui comme l'une des plus belles pièces fatimides connues. Une inscription indique qu'il a été réalisé dans le tirâz de Damiette, pour le calife al-Musta'lî, donc vers 1100. Il s'agit en fait d'un manteau, d'une 'abâ' semblable à celle que portent encore aujourd'hui les Saoudiens. En lin d'une extrême finesse, il est brodé au devant de deux bandeaux de tapisserie, et au dos d'une large bande sur laquelle s'inscrivent trois médaillions. Les bandes sont brodées de soie et d'or, tout comme les médaillions portant des motifs figuratifs. Pour représenter avec autant de sûreté et de grâce des oiseaux affrontés et différents personnages, les tisserands ont fait preuve ici d'une technique exceptionnelle et d'un raffinement inégalé. Le manteau fut sans doute rapporté en Occident par un croisé, et peut-être enveloppait-il déjà quelques reliques. Devenu pour les chrétiens un voile porté par la mère de Marie, il fut longtemps placé, roulé en boule, dans un flacon de verre, et présenté chaque année le jour de la sainte Anne. Ce merveilleux chef d'oeuvre est sans conteste un témoin éclatant de l'enchantement fatimide.

Dossier établi par Alain Blottière




[ Back to the Heritage Page]